Where Is

  ...My Mind
 
(as a teacher)
 
ici quelques textes, réflexions sur l'enseignement - formes libres
 
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juin 2021

enseigner demande de connaître ses appuis

à partir desquels des outils de toutes sortes sont sollicités


avant de préciser mon cas, dire

de façon générale

que le·la professeur·e, musicien·ne ou pas, ne peut scruter l'évolution d'un·e étudiant·e,

les appuis qu'il·elle décèle chez lui·elle, qu'il·elle tente d'éveiller ou de renforcer

sans admettre que la réciproque est alors aussi possible 

et nécessaire à envisager


précisons :

il ne faut certes pas

toujours tout dire, tout dévoiler

(importance de respecter

les parts d'ombre ou d'inaccessibilité

de chacun·e)


mais dire tout de même

que ce qui est mis à jour,

doit être assumé

 

les difficultés que cela pose

ne me semblent du reste pas inutiles

elle permettent de se confronter à cette exigence :

qu'estime-t-on intéressant à partager de son travail,

où,

avec qui,

pourquoi


il y a de nombreux stades de monstration possibles

de nombreux stades de maturité d'une œuvre

et tous ces stades bien souvent

ont besoin de regards éclairants pour passer au suivant


(à ce propos :

une des seules critiques qui me semble envisageable

et humainement acceptable

vis à vis d'une proposition artistique

concerne le décalage ressenti

entre ce qui est montré

et le cadre dans lequel ceci est montré)


mais je reviens maintenant à l'enseignement

pour aller de ces considérations assez générales

vers quelque chose d'un peu plus particulier

qui me représente, 

(à cet instant de l'écriture en tout cas)

 

je travaille régulièrement avec des étudiant·e·s

qui se trouvent sur la voie d'un métier lié à leur pratique de musicien·ne


plus spécifiquement, à cet endroit de leur parcours

une pratique de musicien·ne spécialisé·e dans le monde de la guitare,

monde de plus en plus  concurrentiel,

à l'image de tant de choses aujourd'hui

institutions, êtres :

chaque conservatoire, chaque professeur·e espère rayonner

pour attirer des élèves qui lui font confiance

dans l'espoir de rayonner plus encore 

(ah le rayonnement... puisse-t-on quand même trouver de l'ombre aussi)


dans les conservatoires de France les plus importants en longueur de rayonnement

la plupart du temps

un héritage classique forme appui

à la brillance des professeurs et de l'institution qui les héberge


beaucoup de musiciens brillent ainsi

grâce à leurs concerts, à leurs disques, à leurs prix de concours parfois internationaux

qui leur donnent une aura particulière, 

et des expériences de vie de musicien à transmettre

 

la lumière qui vient les éclairer,

et ce qu'ils·elles éclairent à leur tour de leur propre travail

est un objet la plupart du temps au contenu identifiable,

quoique immense, quoique infini

issu de la musique conservée 

 

j'emploie ce terme sans mépris 

il a le simple mérite de l'exactitude


une musique conservée, donc, 

sauvée de l'oubli

et dont l'idée, pour le.la musicien·ne à chaque fois qu'il·elle l'utilise

est de pouvoir la faire résonner et apprécier

dans le grand espace du temps présent

 

il y a

pour partir de ces traces conservées sous forme de partitions,

nécessité de composer avec tout un jeu d'ombres et de lumières

(l'ombre et la lumière, toujours, comme le son et le silence) 

des choses en effet sont connues du passé

vérifiées, validées par des pairs

dont il reste toute une part,  sans cesse,

à recomposer

une part qui évolue en même temps que le monde et sa recherche


rien n'est jamais fondamentalement mieux ou pire

plus intéressant ou moins intéressant

chaque recherche poussée loin

est le témoignage d'un présent

en train de vivre et de réfléchir

et qui devient, à son tour

témoignage pour les temps futurs


ce travail, j'y plonge, par crise, immersion,

ou bien par touche, 

mon parcours fait que je ne suis pas

dans une invocation permanente

de ces traces écrites et conservées

même si c'est un substrat que je porte avec moi, 

et que j'essaie de faire vivre

par des questions, des propositions,

liées à l'invention du présent

 

j'ai été sensibilisé assez tôt,

en parallèle à l'étude avec par l'instrument de ces traces du passé,

à des formes et des sons

qui brûlaient en direct pour disparaître parfois assez vite

et volontairement

comme par exemple

certaines sonorités nouvelles du flamenco

le cante jondo, (presque) sans âge,

le rock

le cinéma, la poésie

un certain nombre de musiques dites contemporaines, improvisées, expérimentales 

 

souvent également : des musiques traditionnelles ou populaires de tout un tas de pays 


je ne savais pas comment mettre tout ça en lien

à l'époque de ma vie où je faisais des concerts 

assez identifiables vu de l'extérieur

(de guitare classique ou contemporaine, 

dans des ensembles ou seul)

mais encore un peu loin de moi vu de l'intérieur


au fil des années, 

pour pouvoir expérimenter des relations entre mes différents appétits artistiques  

me rapprocher encore un peu plus de ma sensibilité en somme

j'ai fait des choix qui m'ont rapproché de scènes

plutôt liés aux musiques dites improvisées et expérimentales

où toutes sortes de rapports au son et à l'écoute peuvent trouver leur place

(scènes musicales que je qualifierais

de globalement moins subventionnées 

- voire pas subventionnée du tout -

que celles de la musique dite contemporaine

- qui pourtant ne l'est pas beaucoup déjà)

 

sans être aujourd'hui un habitué de ces scènes

(je n'ai été l'habitué d'aucunes scènes)

j'aime l'ombre qu'elles procurent, 

et la place pour la diversité des parcours qu'elles laissent

- on peut y percevoir comment des gens

ont travaillé la question de l'entendre,

de l'écoute, du faire, 

sans forcément passer par des institutions musicales

même si parfois quand même aussi

 

stop aux clivages 

tout ce qui peut étirer

l'imaginaire du son et de l'espace

comme nous

ou comme les chats

quand ils s'étirent

fait du bien


mais je m'égare

je voulais au départ me présenter

et présenter en quelques mots

mes appétits d'enseignant

dire par exemple que si je fréquente peu les scènes en général

ce n'est pas par désintérêt ni par peur

- j'aime beaucoup monter sur scène, 

quand j'ai l'impression d'avoir eu le temps en amont d'une bonne préparation -

c'est en partie lié à mon travail d'enseignant

qui nécessite du temps 


c'est lié également au fait

que j'ai toujours aimé travailler dans la solitude

- et certes parsemer cette solitude de rencontres,

(absolument nécessaires)

mais sans surcharger un temps qui nécessite 

de pouvoir le perdre aussi parfois 

(dans le silence ou dans le bruit)


+ tout un tas d'autres raisons plus obscures évidemment 

- savoir quand et comment partager un travail est rarement sujet simple


j'essaie en tout cas au fil des années de m'organiser

pour laisser la possibilité, toujours,

à cette articulation  partage / travail hors champ

de rester vivante, 

par :

le jeu sur l'instrument,

avec du répertoire ou en improvisant

les mots

depuis pas mal d'années des chansons, de la poésie,

des textes plus théoriques ou réflexifs, comme celui-ci

d'autres choses encore

toujours une histoire de forme, de sens et de sons,

qui nourrit mon imaginaire de musicien et de professeur

l'écriture de musique,

parfois sur des portées, parfois sur des disques durs,

parfois dans ma tête


si je me retourne sur les années écoulées

ces domaines cheminent en parallèle,


du répertoire, des musiques plus ou moins improvisées

des textes dits ou chantés


et comme j'ai l'impression

que tout ce qui est dit, lu ou chanté

me dévoile autrement que par les sons de mes guitares

je m'invente parfois d'autre noms pour

ce dévoilement de l'écriture

plus tardif que la musique

quoique intimement antérieur pourtant

 

c'est par goût du jeu, du je multiple 

par goût de l'ombre aussi


quand je donne cours ces facettes différentes

sans doutes émergent,

ça et là

 

j'apprécie en tout cas 

les enseignant·e·s qui laissent apparaître

leur diversité du je 

- tant que ça reste en lien avec la recherche du moment

ça et là partagée

et j'apprécie aussi

percevoir des identités multiples chez les étudiant·e·s

 

même si là encore,

- c'est important de le redire, de l'affirmer  -

l'absence apparente de cette multiplicité

ne signifie pas qu'elle n'est pas là

- parfois on la devine dans l'ombre -

il faut lui laisser le temps, 

si elle veut,

quand elle veut,

d'apparaître 

et continuer de l'inviter en tout cas


dans un cours il peut y avoir beaucoup de monde 

le·la·les professeur·e·s

les étudiant·e·s  

tout ce qu'ils·elles sont

+

l'éventuel·le compositeur·trice invoqué·e

ou le·s mouvement·s de pensée

etc

toute la collectivité humaine

qui fait exister la situation en cours d'exploration

lieu, langage, imaginaires, passé et présent


définir et analyser mon parcours, mes choix

comme je le fais là maintenant,

me permet aussi

de savoir qui je ne suis pas, ou qui ne suis plus, 

ou qui ne suis pas encore,

et ainsi de pouvoir saisir

la nécessité du travail avec d'autres

pour permettre à chaque étudiant·e

de découvrir plusieurs parcours,

plusieurs sensibilités, plusieurs approches

 

cette diversité d'approche 

qui définit de façon kaléidoscopique

ce que ce métier peut être,

 

(ou pourrait être à l'avenir

car tout reste à continuer d'inventer)


alors livrer ce texte

permettra à qui souhaite le lire

de savoir mieux d'où je parle

et comment j'écris

et comment je peux dire à partir de ce que j'écris

l'inverse étant possible aussi


c'est la trace d'un moment 

où j'ai eu envie d'allumer la lumière de ce blog

et qui s'apprête à être conservé

tiens 

dans ces pages publiées

 

 si quelqu'un allume après moi

- ce blog est un interrupteur -

ce sera le hasard, 

ou pas,

mais ce ne sera peut-être déjà plus tellement moi 

derrière ces mots

 

le temps modifie les choses

toujours un peu 

 

espoir que rien ne se fige trop

après tout

les traces conservées

dans les conservatoires ou ailleurs

sont juste là pour témoigner

des lignes de forces,

d'un imaginaire un instant rassemblé

par des mots, ou des sons, des couleurs

ou des mouvements 

 

que tout ceci reste vivant dans le présent

reste à mes yeux

et mes oreilles

le plus important
 
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avril 21
 

J'aime l'idée d'une pédagogie du questionnement

  • pourquoi cette note, pourquoi cet accord, pourquoi cette forme, pourquoi ce titre

  • pourquoi cette œuvre, maintenant

  • pourquoi cette technique plutôt qu’une autre

  • pourquoi la partition, pourquoi l’improvisation, pourquoi la mémorisation

  • pourquoi jouer seul, pourquoi jouer collectif

Je n’ai pas de réponses définitives à ces questions. Pas de réponses dans la mesure où chaque réponse se fait avec l’élève, pendant le cours, et pour chacun avant, et surtout largement après, des années, voire des décennies après.

J’ai des éléments de réponses (sous forme de questions bien souvent) - c’est mon métier d’en avoir au moins quelques unes. C’est pour ça que je lis, que je joue, que j’écoute des musiques. L’élève parfois en a aussi, parfois non. Quoiqu’il en soit nous tentons d’en construire une aussi complète que possible, dans le temps où nous nous y absorbons, par l’écoute, et la (sa / ma / leur / notre) réflexion.

Quelques idées générales me semblent nécessaires pour que le questionnement puisse s’inscrire dans un champ large et lumineux.

  • ne refuser aucune esthétique, aucune technique, aucun son par principe

  • ne rejeter aucune tradition pédagogique, mais ne se soumettre à aucune

  • accepter l’idée que je ne peux pas tout jouer - par manque de temps, et naturellement aussi, chemin faisant, par vieillissement naturel de toutes mes facultés - mais que je peux en revanche tout écouter. Et que l’expérience de l’expérience contrebalance largement - et positivement - le vieillissement du corps.

  • quelles que soit mes orientations artistiques et musicales : continuer de les développer en parallèle à l’enseignement, avec exigence, feu et calme, constance, trous, euphorie, fatigue, joie, courage, découragement, confiance, doutes. Ceci est important pour rester enthousiaste et ouvert à la démarche de tout élève dès lors qu’il fait le choix de passer un peu de son temps chaque semaine dans une école. Je pense qu’une vie artistique professionnelle peut être traversée, de façon fugace ou prolongée, par l’ensemble des comportements que l’ensemble des élèves décline - qu’ils soient positifs ou négatifs dans l’imaginaire collectif de l’enseignement.

  • Favoriser l’inspiration. Laisser l’inattendu possible, toujours, dans un temps, un lieu donné de l’enseignement. Laisser ouvert l’accès à toutes les formes d’art, de vie, de pensées, qui peuvent toutes a certains moments entrer en collision, joyeusement, et de façon stimulante, avec la recherche spécialisée.

  • Éviter de créer des situations de comparaisons. Immense défi, tant cette notion semble un filtre capital(iste) pour la gouvernance du monde. On se construit par la comparaison ? Sans doutes, oui. On se détruit par la comparaison ? Encore plus certainement. Le danger est là. Il y a alors peut-être d’autres voies de passage que celle-ci, dont je ne vois pas bien la nécessité vu son potentiel toxique - si ce n’est de faire ces sélections inévitées, sinon inévitables, qui constituent le ciment social du monde actuel. Changer quelque peu la nature de ce ciment, lui donner plus d’air : j’espère de temps en temps, là où je suis, parvenir à faire ça.

  • Arrêter la comparaison permet d’écouter son propre corps, ses propres besoins. Et à partir de ça, découvrir un instrument, chaque jour le même, chaque jour différent.


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 2019 
 
réflexion autour de l'enseignement spécialisé de la musique.

Professeur d'enseignement artistique. Un statut, un métier (comme on dit sans doutes aussi à l'armée, comme l'aurait dit autrement Mallarmé) destinés à transmettre un haut niveau de compétence (comme on dit sans doutes aussi etc), à travers quelques cycles d'apprentissage répertoriés.

Mais qu'est ce que ce haut niveau de compétence, cette « excellence » appelé du vœu des responsables politiques et de la profession même.

Jamais été à l'aise avec ce terme.

J'ai eu un rêve (I had a dream, Joe) à ce propos, la nuit dernière.

Dans ce rêve, je défendais ma vision, assez loin de ces histoires de haut niveau, même si le saut à la perche m'impressionne par ailleurs, et que m'attire son caractère grisant lorsque la barre se maintient.
Dans ce rêve donc, j'entendais une rumeur ambiante, qui disait à peu près ça : les conservatoires sont là pour délivrer un « savoir-faire », un « savoir-être », un « savoir-aimer » (suspicious and dark murmurs ), bref, plein de genres de savoirs, qui en plus autorisent éventuellement quelques savons verbaux ou verbeux -
of myself included très probablement - quand l'élève fait sa mauvaise tête et refuse de les fréquenter trop souvent. Perdu dans cette rumeur, la valorisation jusqu'au dégoût de cette masse de savoirs et compétences m'apparaissait soudain dans toute la fatigue de son vêtement social élimé. Je pensais à certains virtuoses (aucun nom ne me venait ni ne me vient, je n'ai personne à dénoncer, je réfléchis la réflexion d'un rêve, et qui vous dit que je ne vous parle pas de moi, a body on my back) qui se grisent de leur savoir technique et musical, mais qui ne me dévoilent rien d'une personnalité dans leurs initiatives quotidiennes de musiciens - ce terme de « musicien » étant la part essentielle de leur identité (et oui, après tout, ne savent ils pas la technique, la lecture, l'écriture, l'histoire de la musique etc ?), qui les amène à ne se livrer qu'à des aventures sociales où « la musique », telle qu'ils la définissent en creux par le prisme de la virtuosité, fait loi. Et certains de glousser dès que la technique académique n'est plus mise en valeur (toujours aucun noms, je n'ai toujours personne à dénoncer, je réfléchis la réflexion d'un rêve, et si personne en fait n'a jamais gloussé alors tant mieux, c'était peut-être moi, je vous dis j'ai rêvé...). Dès lors, en somme, que le roi-interprète est nu – le beau frac repassé ne sert plus d'étalage à gestes assourdissants -, dès lors que la musique se tait.

Ah tiens là me vient un nom - et je sors alors du rêve pour aller ailleurs. « Sais tu que la musique s'est tue ? » chantait Bashung. Lui l'a découvert, un peu, dans son domaine, dans son parcours, et a commencé alors à mettre quelques silences dans son œuvre. Que l'on aime ou pas cette déclinaison, qu'on l'estime aboutie ou non, il y a là le chemin d'un homme qui a commencé à déconstruire un monde (celui du rock, de la chanson), pour tenter d'y apporter autre chose, hors de la musique, hors des agencements calculés de fréquences et de décibels. C'était, pour lui, le cinéma, la littérature, la poésie...la contemplation du monde..un certain silence dans une musique à tendance (légèrement) saturée.

Par ailleurs encore, cela fait un moment, dans l'histoire de la musique occidentale, que la musique s'est tue. Avec Satie, avec Webern, avec Cage, pour ne citer que les plus répertoriés.

(fin du « name droping » - brother, my cup is empty)

Pourtant, malgré les chercheurs qui nous ont précédés, pensais-je de nouveau dans ce rêve, ce qui constitue d'être glorifié bien souvent dans la société, c'est bien le « faire » du son (la musique, il faut y croire dur comme faire). Et c'est bien ce faire qui continue avant tout à être évalué dans les institutions, malgré parfois toutes les bonnes volontés du monde. Le faire du geste technique, de la lecture virtuose. Dans les cours d'instruments, on questionne (je questionne aussi...faut pas rêver !) ainsi bien plus souvent le « comment faire » plutôt que le « pourquoi faire ».

Dans ce rêve je posais cette autre question – sans doutes plus facile à poser en rêve que dans une salle de cours me direz vous , mais néanmoins cruciale : pourquoi faire ?
Pour émouvoir, pour s'émouvoir ? Certes, mais aussi, même si c'est moins dit...pour faire mieux que le voisin ? Pour avoir son examen ? Pour rentrer dans un monde professionnel ? Oui, tout ça est là, bien souvent (le monde de la musique classique est fait d'examens et de concours, c'est un fait). Mais quid du « pourquoi faire » auquel on aurait enfin le courage de répondre : pour défaire, pour faire autrement, pour ne rien faire, pour le plaisir du refaire (y compris le rien faire), pour accepter, aussi, de mal faire. Bref. Une réponse, des réponses, au « pourquoi faire », qui placeraient le son voulu, le geste du musicien, dans un univers susceptible de totalement le déborder, dans l'espace, dans le temps, dans la pensée humaine (voire dans le divin pour certain(e)s), dans le règne animal ou végétal. Une forme de dépossession qui, bien plus qu'accessoirement, déconstruirait la vanité d'un système où – lorsqu'il est à son paroxysme, comme dans certains sports - les écarts de salaires entre ceux qui maîtrisent ce « faire » et ont mis en œuvre un certain savoir faire pour le faire savoir, et ceux qui refusent cette injonction du « faire à tout prix (surtout élevés, le prix) », sont immenses.
Et qui parviendrait peut-être aussi alors à défaire peu à peu l'adoration fétichiste des foules basées sur une certaine valorisation du « faire » (en gros : jeunesse + plasticité + virtuosité + lumière des projecteurs...Victoire, de la musique !..et la petite Victoire arrive en sifflotant, créature sonore qui va trouver le prince charmant, et sa maison en pain d'épice. C'est donc ça la musique..)

Mais je reviens au sujet initial. Professeur d'enseignement artistique. Un statut, un métier, comme on dit à. Comment faire de cette quête du défaire un enseignement dans un conservatoire, sans faire simplement acte de pyromanie (mauvais pour la planète).
Et je reviens à ce rêve où flottaient des bribes de phrases, qui me disaient d'aller vers tous les chemins de traverse possibles, et aussi de ne jamais m'installer dans un style unique, et encore de créer du décalage, de la perspective du silence de l'arrêt de l'activité de la reprise...
Et puis toujours, de ne mépriser aucune expression – ah que vive le bruit, le silence, les choses nues et les habits pointus..
Et puis encore, le son, le silence, l'espace autour l'espace dedans le son le silence l'espace les histoires portées par leur rapport...
En somme de n'être peut-être spécialiste de rien mais de n'avoir de défiance envers aucune spécialité (quel bonheur après tout que de pouvoir se plonger dans une spécialité jusqu'au vertige, straight to you, once again), aucune rencontre...de ne pas hésiter à (se) laisser hésiter, balbutier, à s'émerveiller de ça, comme on s'émerveille devant les pépiements du bébé.

Dans ce rêve, l'enseignement de la musique que je rêvais c'était ça : accompagner un individu (et moi-même), des individus, dans un ensemble de terrains en évolution permanente, qu'ils soient contemporains ou historiques, dont la découverte est infinie - car l'imaginaire sans doutes (qui est allé au bout pour pouvoir l'infirmer ?) est infini.

Dans ce rêve (one more time) ces terrains ne se limitaient pas au son, même s'il était organe vital. Oui le son, comme le silence, était la part d'un monde plus vaste, à l'intérieur duquel chacun pouvait naviguer...comme il l'entendait.

Et là. Dans ce présent état de veille et d'écriture me viennent des situations anodines à l'intérieur d'un cours - joie d'écouter un klaxon dans le lointain qui entre en consonance parfaite avec la note de guitare jouée par un élève (goûter ce hasard), plaisir de se taire et d'écouter ensemble les rumeurs ambiantes, nécessité de changer de place, de se mouvoir, d'esquisser quelques pas, de danse pourquoi pas – toutes ces situations mouvantes, qui laissent peut-être exister un chemin où la patte d'un musicien (lâchons le mot) - comme on parlait de la patte de Mac Enroe au filet quand le tennis était encore un peu rock'n roll - peut se poser et prendre confiance. Patte qui peut être plus ou moins « impressionnante » - et pourquoi pas puisque tout est impression - mais là n'est pas le nerf central. Le nerf est dans l'écoute, l'alchimie tension détente des muscles et du cerveau. N'est-ce pas l'espace que l'on accepte de créer dans son propre corps et dans son propre esprit qui est capable de faire résonner, en soi et parfois pour les autres, le monde..

Le rêve étant un des états possibles – même si dur à laisser exister - de l'enseignement (peut-être un jour enfin des transats dans les salles de cours, pour écouter les sons et les laisser venir se lover dans une perception relâchée, ensommeillée, sans impératif ?) je veux continuer de croire que le déploiement de celui-ci, entre les murs (murs) d'un conservatoire, est possible.

Sinon...« soldat sans joie va déguerpis, l'amour t'a faussé compagnie » (comme on ne le dit certainement pas à l'armée, mais comme le chantait Bashung - pas mal armé).


Sources, ruisseaux, rivières du jour présent
(deux livres, un disques, qui flottaient sur les flots par hasard) :

Nick Cave « Henry's dream »
Alain Bashung « Fantaisie Militaire »
Antonin Artaud « Le pèse-nerf »

Merci à Benjamin Dupé, pas revu depuis 20 ans (!), pour m'avoir évoqué au détour du souvenir de son site internet, un beau jour consulté – et à défaut d'avoir vu le spectacle en direct - cette belle expression : « comme je l'entends »

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