à partir desquels des outils de toutes sortes sont sollicités
avant de préciser mon cas, dire
de façon générale
que le·la professeur·e, musicien·ne ou pas, ne peut scruter l'évolution d'un·e étudiant·e,
les appuis qu'il·elle décèle chez lui·elle, qu'il·elle tente d'éveiller ou de renforcer
sans admettre que la réciproque est alors aussi possible
et nécessaire à envisager
précisons :
il ne faut certes pas
toujours tout dire, tout dévoiler
(importance de respecter
les parts d'ombre ou d'inaccessibilité
de chacun·e)
mais dire tout de même
que ce qui est mis à jour,
doit être assumé
les difficultés que cela pose
ne me semblent du reste pas inutiles
elle permettent de se confronter à cette exigence :
qu'estime-t-on intéressant à partager de son travail,
où,
avec qui,
pourquoi
il y a de nombreux stades de monstration possibles
de nombreux stades de maturité d'une œuvre
et tous ces stades bien souvent
ont besoin de regards éclairants pour passer au suivant
(à ce propos :
une des seules critiques qui me semble envisageable
et humainement acceptable
vis à vis d'une proposition artistique
concerne le décalage ressenti
entre ce qui est montré
et le cadre dans lequel ceci est montré)
mais je reviens maintenant à l'enseignement
pour aller de ces considérations assez générales
vers quelque chose d'un peu plus particulier
qui me représente,
(à cet instant de l'écriture en tout cas)
je travaille régulièrement avec des étudiant·e·s
qui se trouvent sur la voie d'un métier lié à leur pratique de musicien·ne
plus spécifiquement, à cet endroit de leur parcours
une pratique de musicien·ne spécialisé·e dans le monde de la guitare,
monde de plus en plus concurrentiel,
à l'image de tant de choses aujourd'hui
institutions, êtres :
chaque conservatoire, chaque professeur·e espère rayonner
pour attirer des élèves qui lui font confiance
dans l'espoir de rayonner plus encore
(ah le rayonnement... puisse-t-on quand même trouver de l'ombre aussi)
dans les conservatoires de France les plus importants en longueur de rayonnement
la plupart du temps
un héritage classique forme appui
à la brillance des professeurs et de l'institution qui les héberge
beaucoup de musiciens brillent ainsi
grâce à leurs concerts, à leurs disques, à leurs prix de concours parfois internationaux
qui leur donnent une aura particulière,
et des expériences de vie de musicien à transmettre
la lumière qui vient les éclairer,
et ce qu'ils·elles éclairent à leur tour de leur propre travail
est un objet la plupart du temps au contenu identifiable,
quoique immense, quoique infini
issu de la musique conservée
j'emploie ce terme sans mépris
il a le simple mérite de l'exactitude
une musique conservée, donc,
sauvée de l'oubli
et dont l'idée, pour le.la musicien·ne à chaque fois qu'il·elle l'utilise
est de pouvoir la faire résonner et apprécier
dans le grand espace du temps présent
il y a
pour partir de ces traces conservées sous forme de partitions,
nécessité de composer avec tout un jeu d'ombres et de lumières
(l'ombre et la lumière, toujours, comme le son et le silence)
des choses en effet sont connues du passé
vérifiées, validées par des pairs
dont il reste toute une part, sans cesse,
à recomposer
une part qui évolue en même temps que le monde et sa recherche
rien n'est jamais fondamentalement mieux ou pire
plus intéressant ou moins intéressant
chaque recherche poussée loin
est le témoignage d'un présent
en train de vivre et de réfléchir
et qui devient, à son tour
témoignage pour les temps futurs
ce travail, j'y plonge, par crise, immersion,
ou bien par touche,
mon parcours fait que je ne suis pas
dans une invocation permanente
de ces traces écrites et conservées
même si c'est un substrat que je porte avec moi,
et que j'essaie de faire vivre
par des questions, des propositions,
liées à l'invention du présent
j'ai été sensibilisé assez tôt,
en parallèle à l'étude avec par l'instrument de ces traces du passé,
à des formes et des sons
qui brûlaient en direct pour disparaître parfois assez vite
et volontairement
comme par exemple
certaines sonorités nouvelles du flamenco
le cante jondo, (presque) sans âge,
le rock
le cinéma, la poésie
un certain nombre de musiques dites contemporaines, improvisées, expérimentales
souvent également : des musiques traditionnelles ou populaires de tout un tas de pays
je ne savais pas comment mettre tout ça en lien
à l'époque de ma vie où je faisais des concerts
assez identifiables vu de l'extérieur
(de guitare classique ou contemporaine,
dans des ensembles ou seul)
mais encore un peu loin de moi vu de l'intérieur
au fil des années,
pour pouvoir expérimenter des relations entre mes différents appétits artistiques
me rapprocher encore un peu plus de ma sensibilité en somme
j'ai fait des choix qui m'ont rapproché de scènes
plutôt liés aux musiques dites improvisées et expérimentales
où toutes sortes de rapports au son et à l'écoute peuvent trouver leur place
(scènes musicales que je qualifierais
de globalement moins subventionnées
- voire pas subventionnée du tout -
que celles de la musique dite contemporaine
- qui pourtant ne l'est pas beaucoup déjà)
sans être aujourd'hui un habitué de ces scènes
(je n'ai été l'habitué d'aucunes scènes)
j'aime l'ombre qu'elles procurent,
et la place pour la diversité des parcours qu'elles laissent
- on peut y percevoir comment des gens
ont travaillé la question de l'entendre,
de l'écoute, du faire,
sans forcément passer par des institutions musicales
même si parfois quand même aussi
stop aux clivages
tout ce qui peut étirer
l'imaginaire du son et de l'espace
comme nous
ou comme les chats
quand ils s'étirent
fait du bien
mais je m'égare
je voulais au départ me présenter
et présenter en quelques mots
mes appétits d'enseignant
dire par exemple que si je fréquente peu les scènes en général
ce n'est pas par désintérêt ni par peur
- j'aime beaucoup monter sur scène,
quand j'ai l'impression d'avoir eu le temps en amont d'une bonne préparation -
c'est en partie lié à mon travail d'enseignant
qui nécessite du temps
c'est lié également au fait
que j'ai toujours aimé travailler dans la solitude
- et certes parsemer cette solitude de rencontres,
(absolument nécessaires)
mais sans surcharger un temps qui nécessite
de pouvoir le perdre aussi parfois
(dans le silence ou dans le bruit)
+ tout un tas d'autres raisons plus obscures évidemment
- savoir quand et comment partager un travail est rarement sujet simple
j'essaie en tout cas au fil des années de m'organiser
pour laisser la possibilité, toujours,
à cette articulation partage / travail hors champ
de rester vivante,
par :
le jeu sur l'instrument,
avec du répertoire ou en improvisant
les mots
depuis pas mal d'années des chansons, de la poésie,
des textes plus théoriques ou réflexifs, comme celui-ci
d'autres choses encore
toujours une histoire de forme, de sens et de sons,
qui nourrit mon imaginaire de musicien et de professeur
l'écriture de musique,
parfois sur des portées, parfois sur des disques durs,
parfois dans ma tête
si je me retourne sur les années écoulées
ces domaines cheminent en parallèle,
du répertoire, des musiques plus ou moins improvisées
des textes dits ou chantés
et comme j'ai l'impression
que tout ce qui est dit, lu ou chanté
me dévoile autrement que par les sons de mes guitares
je m'invente parfois d'autre noms pour
ce dévoilement de l'écriture
plus tardif que la musique
quoique intimement antérieur pourtant
c'est par goût du jeu, du je multiple
par goût de l'ombre aussi
quand je donne
cours ces facettes différentes
sans doutes émergent,
ça et là
j'apprécie en tout cas
les enseignant·e·s qui laissent apparaître
leur diversité du je
- tant que ça reste en lien avec la recherche du moment
ça et là partagée
et j'apprécie aussi
percevoir des identités multiples chez les étudiant·e·s
même si là encore,
- c'est important de le redire, de l'affirmer -
l'absence apparente de cette multiplicité
ne signifie pas qu'elle n'est pas là
- parfois on la devine dans l'ombre -
il faut lui laisser le temps,
si elle veut,
quand elle veut,
d'apparaître
et continuer de l'inviter en tout cas
dans un cours il peut y avoir beaucoup de monde
le·la·les professeur·e·s
les étudiant·e·s
tout ce qu'ils·elles sont
+
l'éventuel·le compositeur·trice invoqué·e
ou le·s mouvement·s de pensée
etc
toute la collectivité humaine
qui fait exister la situation en cours d'exploration
lieu, langage, imaginaires, passé et présent
définir et analyser mon parcours, mes choix
comme je le fais là maintenant,
me permet aussi
de savoir qui je ne suis pas, ou qui ne suis plus,
ou qui ne suis pas encore,
et ainsi de pouvoir saisir
la nécessité du travail avec d'autres
pour permettre à chaque étudiant·e
de découvrir plusieurs parcours,
plusieurs sensibilités, plusieurs approches
cette diversité d'approche
qui définit de façon kaléidoscopique
ce que ce métier peut être,
(ou pourrait être à l'avenir
car tout reste à continuer d'inventer)
alors livrer ce texte
permettra à qui souhaite le lire
de savoir mieux d'où je parle
et comment j'écris
et comment je peux dire à partir de ce que j'écris
l'inverse étant possible aussi
c'est la trace d'un moment
où j'ai eu envie d'allumer la lumière de ce blog
et qui s'apprête à être conservé
tiens
dans ces pages publiées
si quelqu'un allume après moi
- ce blog est un interrupteur -
ce sera le hasard,
ou pas,
mais ce ne sera peut-être déjà plus tellement moi
derrière ces mots
le temps modifie les choses
toujours un peu
espoir que rien ne se fige trop
après tout
les traces conservées
dans les conservatoires ou ailleurs
sont juste là pour témoigner
des lignes de forces,
d'un imaginaire un instant rassemblé
par des mots, ou des sons, des couleurs
ou des mouvements
que tout ceci reste vivant dans le présent
reste à mes yeux
et mes oreilles
le plus importantJ'aime l'idée d'une pédagogie du questionnement
pourquoi cette note, pourquoi cet accord, pourquoi cette forme, pourquoi ce titre
pourquoi cette œuvre, maintenant
pourquoi cette technique plutôt qu’une autre
pourquoi la partition, pourquoi l’improvisation, pourquoi la mémorisation
pourquoi jouer seul, pourquoi jouer collectif
Je n’ai pas de réponses définitives à ces questions. Pas de réponses dans la mesure où chaque réponse se fait avec l’élève, pendant le cours, et pour chacun avant, et surtout largement après, des années, voire des décennies après.
J’ai des éléments de réponses (sous forme de questions bien souvent) - c’est mon métier d’en avoir au moins quelques unes. C’est pour ça que je lis, que je joue, que j’écoute des musiques. L’élève parfois en a aussi, parfois non. Quoiqu’il en soit nous tentons d’en construire une aussi complète que possible, dans le temps où nous nous y absorbons, par l’écoute, et la (sa / ma / leur / notre) réflexion.
Quelques idées générales me semblent nécessaires pour que le questionnement puisse s’inscrire dans un champ large et lumineux.
ne refuser aucune esthétique, aucune technique, aucun son par principe
ne rejeter aucune tradition pédagogique, mais ne se soumettre à aucune
accepter l’idée que je ne peux pas tout jouer - par manque de temps, et naturellement aussi, chemin faisant, par vieillissement naturel de toutes mes facultés - mais que je peux en revanche tout écouter. Et que l’expérience de l’expérience contrebalance largement - et positivement - le vieillissement du corps.
quelles que soit mes orientations artistiques et musicales : continuer de les développer en parallèle à l’enseignement, avec exigence, feu et calme, constance, trous, euphorie, fatigue, joie, courage, découragement, confiance, doutes. Ceci est important pour rester enthousiaste et ouvert à la démarche de tout élève dès lors qu’il fait le choix de passer un peu de son temps chaque semaine dans une école. Je pense qu’une vie artistique professionnelle peut être traversée, de façon fugace ou prolongée, par l’ensemble des comportements que l’ensemble des élèves décline - qu’ils soient positifs ou négatifs dans l’imaginaire collectif de l’enseignement.
Favoriser l’inspiration. Laisser l’inattendu possible, toujours, dans un temps, un lieu donné de l’enseignement. Laisser ouvert l’accès à toutes les formes d’art, de vie, de pensées, qui peuvent toutes a certains moments entrer en collision, joyeusement, et de façon stimulante, avec la recherche spécialisée.
Éviter de créer des situations de comparaisons. Immense défi, tant cette notion semble un filtre capital(iste) pour la gouvernance du monde. On se construit par la comparaison ? Sans doutes, oui. On se détruit par la comparaison ? Encore plus certainement. Le danger est là. Il y a alors peut-être d’autres voies de passage que celle-ci, dont je ne vois pas bien la nécessité vu son potentiel toxique - si ce n’est de faire ces sélections inévitées, sinon inévitables, qui constituent le ciment social du monde actuel. Changer quelque peu la nature de ce ciment, lui donner plus d’air : j’espère de temps en temps, là où je suis, parvenir à faire ça.
Arrêter la comparaison permet d’écouter son propre corps, ses propres besoins. Et à partir de ça, découvrir un instrument, chaque jour le même, chaque jour différent.
Dans ce rêve donc, j'entendais une rumeur ambiante, qui disait à peu près ça : les conservatoires sont là pour délivrer un « savoir-faire », un « savoir-être », un « savoir-aimer » (suspicious and dark murmurs ), bref, plein de genres de savoirs, qui en plus autorisent éventuellement quelques savons verbaux ou verbeux - of myself included très probablement - quand l'élève fait sa mauvaise tête et refuse de les fréquenter trop souvent. Perdu dans cette rumeur, la valorisation jusqu'au dégoût de cette masse de savoirs et compétences m'apparaissait soudain dans toute la fatigue de son vêtement social élimé. Je pensais à certains virtuoses (aucun nom ne me venait ni ne me vient, je n'ai personne à dénoncer, je réfléchis la réflexion d'un rêve, et qui vous dit que je ne vous parle pas de moi, a body on my back) qui se grisent de leur savoir technique et musical, mais qui ne me dévoilent rien d'une personnalité dans leurs initiatives quotidiennes de musiciens - ce terme de « musicien » étant la part essentielle de leur identité (et oui, après tout, ne savent ils pas la technique, la lecture, l'écriture, l'histoire de la musique etc ?), qui les amène à ne se livrer qu'à des aventures sociales où « la musique », telle qu'ils la définissent en creux par le prisme de la virtuosité, fait loi. Et certains de glousser dès que la technique académique n'est plus mise en valeur (toujours aucun noms, je n'ai toujours personne à dénoncer, je réfléchis la réflexion d'un rêve, et si personne en fait n'a jamais gloussé alors tant mieux, c'était peut-être moi, je vous dis j'ai rêvé...). Dès lors, en somme, que le roi-interprète est nu – le beau frac repassé ne sert plus d'étalage à gestes assourdissants -, dès lors que la musique se tait.
Ah tiens là me vient un nom - et je sors alors du rêve pour aller ailleurs. « Sais tu que la musique s'est tue ? » chantait Bashung. Lui l'a découvert, un peu, dans son domaine, dans son parcours, et a commencé alors à mettre quelques silences dans son œuvre. Que l'on aime ou pas cette déclinaison, qu'on l'estime aboutie ou non, il y a là le chemin d'un homme qui a commencé à déconstruire un monde (celui du rock, de la chanson), pour tenter d'y apporter autre chose, hors de la musique, hors des agencements calculés de fréquences et de décibels. C'était, pour lui, le cinéma, la littérature, la poésie...la contemplation du monde..un certain silence dans une musique à tendance (légèrement) saturée.
Pourtant, malgré les chercheurs qui nous ont précédés, pensais-je de nouveau dans ce rêve, ce qui constitue d'être glorifié bien souvent dans la société, c'est bien le « faire » du son (la musique, il faut y croire dur comme faire). Et c'est bien ce faire qui continue avant tout à être évalué dans les institutions, malgré parfois toutes les bonnes volontés du monde. Le faire du geste technique, de la lecture virtuose. Dans les cours d'instruments, on questionne (je questionne aussi...faut pas rêver !) ainsi bien plus souvent le « comment faire » plutôt que le « pourquoi faire ».
Et qui parviendrait peut-être aussi alors à défaire peu à peu l'adoration fétichiste des foules basées sur une certaine valorisation du « faire » (en gros : jeunesse + plasticité + virtuosité + lumière des projecteurs...Victoire, de la musique !..et la petite Victoire arrive en sifflotant, créature sonore qui va trouver le prince charmant, et sa maison en pain d'épice. C'est donc ça la musique..)
Mais je reviens au sujet initial. Professeur d'enseignement artistique. Un statut, un métier, comme on dit à. Comment faire de cette quête du défaire un enseignement dans un conservatoire, sans faire simplement acte de pyromanie (mauvais pour la planète).
Alain Bashung « Fantaisie Militaire »